Antonio Monzino

Ma famille a commencé cette activité en 1750 avec la production artisanale et le commerce d’instruments et accessoires de musique ainsi que l’édition

Monsieur Monzino, vous êtes un membre italien de l’Association "Les Henokiens". Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

> Antonio MONZINO : Je suis né à Milan le 16 novembre 1938. Je suis marié et père de deux enfants, Stefano et Francesco. Je suis président et CEO de Monzino S.p.a, une holding qui contrôle les sociétés du groupe et qui porte le nom de ma famille

Pouvez-vous nous présenter le Groupe et son activité ?

> AM. : Ma famille a commencé cette activité en 1750 avec la production artisanale et le commerce d’instruments et accessoires de musique ainsi que l’édition. Six générations se sont succédées toujours par l’intermédiaire d’un fils et d’une seule branche familiale, après une évaluation soigneusement faite par le père des capacités entrepreneuriales du successeur. La septième génération quant à elle, a vu se succéder cinq branches familiales. 
C’est avec l’ouverture d’une boutique artisanale à Milan, dans la Contrada della Dogana à quelques mètres de la place du Dôme, que tout a commencé.

Notre activité consistait à fournir et à rendre des services à ceux qui faisait de la musique en tant qu’amateurs ou en tant que professionnels, nous vendions des instruments de très haute qualité et nous offrions notre assistance pour les réparations et la production de cordes harmoniques, mais aussi de crins pour les chapeaux de paille. Un ancêtre musicien fut également compositeur et, à ce titre, comme je le disais plus tôt, entama l’activité d’édition musicale. 
Actuellement notre groupe est constitué d’une société spécialisée dans l’importation et la distribution d’instruments de musique, d’une autre qui est en charge de l’édition avec des filiales en Italie, France et Espagne, d’une coentreprise pour la distribution en Italie d’une société immobilière et d’une Fondation. 
Notre vocation originale consiste à nous mettre au service du monde de la musique. Elle a accompagné notre histoire et permis d’imposer notre image tant sur le marché national qu’à l’international, un marché sur lequel nous souhaitons, aujourd’hui, accroître notre présence également par le biais de produits à marque enregistrée ce, dans de nouveaux secteurs comme celui de l’audio professionnel parallèlement à la distribution de marques prestigieuses.

Quels ont été les faits les plus marquants de ces dernières années ?

> AM. : Après avoir cessé d’importantes collaborations avec certaines sociétés leaders de ce secteur comme Yamaha, Roland et Gibson, la stratégie adoptée par notre groupe fut celle d’internationaliser et de pénétrer le secteur de l’édition musicale, ce qui s’est produit à travers l’acquisition de la célèbre société Carisch dans laquelle nous avons concentré la branche industrielle en nous lançant dans la production d’instruments de musique à marque enregistrée et dans l’audio professionnel.

Comment expliquez-vous la longévité de votre société ?

> AM. : On dit que le premier outil créé par l’homme sur terre fut un instrument de musique… La musique a donc accompagné l’homme depuis son origine, ce qui nous amène à être parfaitement conscients que le secteur dans lequel notre famille opère depuis plus de deux siècles ne s’épuisera jamais. De plus, la connaissance et l’importance de la pratique musicale dans l’éducation et la formation culturelle de tout individu ont, à notre avis, joué un rôle fondamental dans cette continuité, sans oublier certaines valeurs qui se sont transmises de père en fils, comme l’éthique, la transparence, l’ardeur au travail et la sobriété.
Un autre élément essentiel a été, selon moi, la gestion du relais générationnel qui s’est toujours fait par le choix du successeur le plus à même de garantir la continuité avec la transmission d’un patrimoine de connaissance et de passion qui sont, bien entendu, les autres ingrédients nécessaires. 
Avec l’arrivée des nouvelles technologies, la modernisation et la globalisation des marchés (même si, en parcourant rapidement les documents conservés, on apprend que les premiers émigrants dans le nouveau monde emportèrent avec eux une mandoline des Monzino ou bien que dans la liste de nos récompenses on peut trouver des médailles remportées à Quito en Equateur en 1909 et à l’exposition universelle de Bruxelles en 1910, autant de témoignages qui prouvent à quel point certains choix étaient inscrits dans l’ADN de notre tradition), la décision de faire rentrer dans notre société des dirigeants qui n’étaient pas membres de notre famille nous a permis, à mon sens, de mûrir et de nous tourner vers l’avenir avec optimisme

Peut-on donc affirmer que cette longévité représente un avantage vis à vis de votre clientèle et de vos partenaires commerciaux ?

> AM. : Le monde des affaires, j’entends par là les affaires réciproquement avantageuses et durables, est heureusement fait aujourd’hui encore de relations personnelles. Savoir que l’on peut compter sur un partenaire dont le comportement s’inscrit dans une longue histoire qui n’est pas uniquement faite de succès économiques apporte certainement de la valeur ajoutée et devrait offrir un avantage concurrentiel qu’il convient de mettre en avant. 
Ceci est valable tant pour les relations avec le monde extérieur que pour les relations au sein même des sociétés du Groupe où il la longevité est reconnu comme un signe distinctif important.

Les valeurs traditionnelles qui guident votre entreprise constituent-elles un avantage en matière de recherche et d’innovation ?

> AM. : A mon avis oui. Parce que la longévité est également le fruit de la capacité à pressentir et à interpréter à temps les nouveautés et donc d’être capable d’innover pour offrir des produits et services toujours plus attractifs, des stratégies et une belle image.

Quels sont à votre avis les pièges que votre société doit éviter pour conserver son indépendance ?

> AM. : Eviter d’avoir des associés et des dirigeants qui ne sont pas formés à la culture du Family Business et qui ne savent pas interpréter les valeurs exprimées au cours de notre histoire.

La volonté de votre famille de rester indépendante a-t-elle conditionné vos choix et a-t-elle été à l’origine de moments difficiles et lesquels ?

> AM. : Lorsque mon père est rentré du service militaire lors de la dernière guerre, il a du se séparer de cousins qui étaient entrés dans la société à travers la gestion de la société qui avait été confiée à Carlo Garlandini, le mari de ma tante. Cela a été rendu possible en scindant certaines divisions. Plus récemment, une branche familiale s’est détachée après avoir choisi de poursuivre son activité dans une société constituée par une coentreprise avec un partenaire. 
Au cours de ces passages, les difficultés ont pu être surpassées grâce à la collaboration sur le plan technique de conseillers externes et grâce à l’équilibre de la famille qui s’est recomposée à travers la Fondation, créée en 1999 et dans laquelle tous se sont reconnus dans le nom de mon père: Antonio Carlo Monzino.

Parlez-nous des projets de votre société à court et long terme.

> AM. : Actuellement, le plan stratégie de notre
Groupe prévoit des investissements de nos marques dans les secteurs de la production sous la marque Carisch ce, en Italie, en France et en Espagne avec nos propres structures et, sur d’autres marchés internationaux, par le biais de distributeurs locaux. 
Notre but est de garantir à la fois la continuité et la croissance tout en valorisant notre patrimoine de connaissances dans ce secteur et notre image, fruit d’une histoire de plusieurs siècles. Cela devrait être possible grâce au développement d’une activité industrielle parallèlement à notre présence consolidée dans le secteur de la distribution d’instruments de musique de marques prestigieuses qui nous ont confié des zones territoriales comme la France et l’Espagne ou encore l’Italie où nous opérons à travers nos filiales. 
A côté de cette activité que nous pouvons définir comme le cœur de métier du Groupe, nous avons prévu de développer notre secteur d’activité immobilière, que nous considérons comme une diversification, avec des membres de la huitième génération aux postes de direction.

Pouvez-vous nous illustrer les plus importants projets de votre société à court et à long terme ?

> AM. : La dynamique de toute société moderne prévoit d’avoir toujours des nouveaux projets en cours dans les secteurs où elle opère.
Nos projets les plus significatifs, ceux dans lesquels nous investissons une grande partie de nos énergies et de nos ressources sont, entre autres, nos « marques propres » que nous souhaitons mettre sur le marché avec les produits distribués et le développement du secteur de l’édition avec des produits destinés à un public plus vaste grâce à un canal de distribution alternatif. Le développement territorial pour couvrir le plus grand nombre de pays européens et internationaux est l’autre projet auquel nous accordons beaucoup d’attention et d’énergie. 
A long terme, parmi les projets actuellement analysés, il y existe une possibilité de créer de nouvelles structures multifonctions dans le secteur de l’offre de l’utilisation active et de la production musicale, en relation directe avec le consommateur final.

Les rênes de la gestion de la société passent d’un membre à l’autre de votre famille selon des règles écrites ?

> AM. : En 2002, après plusieurs années de gestation avec la collaboration d’experts indépendants, tous les membres de la famille des deux générations participant actuellement aux affaires de la société, y compris les affaires voisines, ont signé un pacte familial stipulant les principales règles, dont certaines ont été ensuite inscrites dans les statuts de la Holding et des filiales, concernant les relations entre les associés et les filiales en matière de gouvernance, de nominations, d’évaluations, d’embauches de membres de la famille, de sorties et de retours et de code de déontologie.

Plusieurs générations de votre famille travaillent-elles actuellement dans la société ?

> AM. : De ma génération, Alberto, mon frère, et Carla, ma sœur, ont participé aux activités en obtenant des résultats fructueux en collaboration avec mes deux beaux-frères, Bruno Barbini et Carlo Bonomi. Aujourd’hui en 2014, peu de membres de la nouvelle génération travaille dans le Groupe : Andrea (41ans, fils d’Alberto), Marcello (38 ans, fils de Vittoria) et Francesco (32 ans, mon fils). Ils se forgent sous la supervision d’un management professionnel une expérience aux différents postes qui leur permettront d'acquérir les compétences nécessaires pour mener demain l'entreprise. Naturellement, ceci ne se fera que sur la base d’évaluations quant à leur mérite et leurs capacités, évaluations qui seront confiées à un comité d’experts indépendants externes.

Quel est votre message pour tous ceux qui souhaiteraient se lancer dans une entreprise familiale ?

> AM. : Ce défi à relever peut être payant pour ceux qui ont les capacités de réaliser leur rêve. Le chemin à faire n’est pas facile et plus que complexe, mais il peut permettre d’aller très loin.